Babacar Niang, agrégé des facultés de droit : "La proposition de loi contre les Lgbt est insensée"

mercredi 5 janvier 2022 • 2489 lectures • 2 commentaires

Société 2 ans Taille

Babacar Niang, agrégé des facultés de droit :

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En attendant la réunion du bureau de l’Assemblée nationale prévue aujourd’hui, à 11 heures 30 mn, pour examiner la proposition de loi criminalisant l’homosexualité initiée par l’association «Sam Djiko Yi» et portée par une dizaine de députés, Babacar Niang, agrégé des facultés de Droit et avocat au Barreau de Paris, jette un regard critique sur la question. 

Une proposition de loi visant à criminaliser l’homosexualité a été introduite à l’Assemblée nationale, quelle analyse en faites-vous ?
Il faudrait d’abord s’intéresser à la motivation. Si on regarde ce qu’ils invoquent comme motif, tout est faux. L’alinéa 3 de l’article 319 est déjà très clair, puisqu’il parle d’acte impudique ou contre-nature. Les précisions qui sont proposées n’ont aucune utilité. Ce sont des propositions qui viennent d’ailleurs et qui obscurcissent la loi parce qu’il n’y a rien de plus que cette loi apporte et qui n’était pas prévu. Si l’on s’intéresse à la terminologie qu’ils ont déjà utilisée en parlant de criminalisation, en principe, on n’est même pas dans une criminalisation, puisqu’il s’agit simplement d’une aggravation de la peine. La peine qui était de 1 à 5 ans d’emprisonnement passe de 5 à 10 ans. Cela n’en fait pas un crime, on est toujours dans le cadre délictuel. Il faut distinguer un délit d’un crime. Le crime c’est l’acte le plus grave. Le délit, c’est l’acte intermédiaire entre la contravention et le crime. On est toujours dans le cadre délictuel et pas dans le cadre criminel. Ce qui est vraiment inutile est qu’il y avait une disposition qui visait à protéger les actes impudiques commis avec un mineur (la minorité était de 21 ans, mais aujourd’hui elle est de 18 ans). C’est-à-dire un acte impudique commis avec un mineur était considéré comme un acte grave et le maximum de la peine était prévu et bizarrement, cette protection contre la minorité, elle a disparu dans cette proposition. C’est une loi pour faire du bruit, mais qui ne vise pas à protéger une catégorie de personnes vulnérables qu’on appelle la minorité et ça en fait une loi qui est insensée. C’est une proposition de loi qui heurte un principe du droit pénal qu’est le principe de la nécessité qui est l’une des dérivations du principe de la légalité des délits et des peines. Une loi pénale doit être nécessaire et proportionnée. Dès lors qu’elle n’est ni nécessaire, ni proportionnée, elle est contraire à la Constitution. Donc, cette loi est potentiellement contraire à la Constitution. Les sanctions qui sont proposées ne sont pas proportionnelles. 

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Quelle différence fondamentale y a-t-il entre l’état actuel des dispositions de la loi telle que prévue par le Code de procédure pénal et la proposition de loi qui vise la criminalisation de l’homosexualité ? 
Cette proposition de loi enlève la protection qui était accordée aux actes impudiques, contre-natures commis avec des mineurs. Il y a un allégement de la protection contre une catégorie de personnes considérées comme vulnérables. Les précisions qu’ils sont supposés apporter n’ont aucun sens. Aucune des précisions apportées en soi n’est un élément décisif pour qu’on puisse faire intervenir le législateur dans le cadre d’un texte qui existe déjà. La loi n’apporte rien. Elle est insensée et inopportune.

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Si la proposition de loi est adoptée, ne risque-t-elle pas d’être déclarée anticonstitutionnelle ?
C’est plutôt sur le terrain des libertés individuelles que cette loi serait potentiellement attaquée devant le Conseil constitutionnel. Ce n’est pas en soi le terme ‘’homo’’ qui pose des difficultés, mais c’est plutôt la légalité, c’est-à-dire la comptabilité des textes par rapport au principe de la légalité des délits et des peines, puisque cette loi n’est pas nécessaire et elle vient renforcer un texte qui existe déjà.


Depuis qu’on parle de cette proposition de loi, les organisations des droits de l’homme sont restées aphones, qu’en pensez-vous ?
Le fait que les droits-de-l’hommiste se taisent, ça pose problème. C’est une peur, une crainte, un manque de courage. En vérité, nous avons un groupe de personnes moralisatrices qui s’attaquent à une marge de la population. Et cette marge de la population a des droits comme la majorité qu’ils sont censés défendre. Les droits-de-l’hommiste auraient dû se soulever pour dire que cette proposition de loi est contraire à la défense des droits des personnes qui sont concernées. Les mineurs ne sont pas bien protégés par cette proposition de loi. C’est un manque de courage des droits-de-l’hommiste. On ne peut pas accepter qu’il y ait une tyrannie de la majorité qui vienne écraser une petite marge de la population, dont les actes ne sont punis que lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’un espace public. Dans leur espace privé en principe, ce ne sont pas des actes qui sont punissables. L’homosexualité est un sujet tabou et beaucoup de gens n’osent en parler puisqu’il suffit d’en parler pour qu’on catégorise pro-gay, alors que cela n’a rien à voir. On peut défendre des valeurs sans pour autant s’intéresser à cette pratique. Une des valeurs qu’il faudrait défendre, c’est la question d’humanisme dans cette affaire. Il n’est pas acceptable que cette marge de la population soit non seulement sujette à des attaques qui, en soi, risquent d’aggraver leur situation. Cette loi vient renforcer leur marginalisation au sein de la société.  Les associations des droits de l’homme auraient dû se lever pour contrer cette proposition de loi.


Quelles seront les conséquences de l’adoption de la proposition de loi sur le Sénégal ?
De manière générale, le Sénégal est libre d’adopter des lois qui répriment l’homosexualité. Le Sénégal est une souveraineté nationale. Cela veut dire qu’on a déjà un texte qui dit clairement que l’homosexualité n’est pas une pratique qui est tolérée. Elle est réprimée et il n’est pas nécessaire de renforcer cette disposition qui est très claire. Au niveau international, ça risque de mettre le Sénégal dans la catégorie des pays rouges qui sont déconseillés. Ce genre de texte n’apporte rien par rapport à notre démocratie. Au contraire, elle fragilise la démocratie. Dans une démocratie, un acte volontaire qui ne heurte pas les intérêts d’une personne ou les intérêts de la Nation, ne doit pas entrer dans le cadre de la législation pénale. En même temps, le Sénégal est libre de dire l’homosexualité heurte les valeurs morales sans pour autant aller plus.
CODOU BADIANE

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Publié par

Namory BARRY

admin

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