Enquête sur les attaques contre la Police par des gangs armés

samedi 9 janvier 2021 • 1747 lectures • 1 commentaires

Société 3 ans Taille

Enquête sur les attaques contre la Police par des gangs armés

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Les actes de défiance se multiplient de plus en plus en banlieue où ceux qui violent la loi ne se laissent plus arrêter sans opposer une résistance farouche aux forces de l’ordre. Dans ce lot, les malfaiteurs s’illustrent le plus, particulièrement dans certains quartiers de la banlieue où ils imposent leur loi aux populations, les obligeant ainsi à leur servir de boucliers face à la police. L’Observateur qui a enquêté, vous livre ici quelques cas de défiance.

Depuis plusieurs mois, on débat de la question en banlieue. A Pikine, Thiaroye, Yeumbeul, Bene Baraque…, on continue de s’interroger sur la radicalisation de ceux qui ont choisi de se mettre en marge de la loi au point de défier les forces de l’ordre. La plupart parmi eux n’hésitent plus à s’opposer à toute intervention de la police. «Pourtant, cela a commencé il y a bien longtemps», confie  Abdoulaye F., un notable rencontré à Sam-Sam, un quartier de la commune de Yeumbeul-Sud où les rues portent encore les stigmates de la journée du 14 juillet 2018, lorsque des policiers de Thiaroye, venus cueillir un individu dont le nom a été cité dans une affaire de vol de moutons de race «Ladum», font  face à une vive opposition de sa famille soutenue par ses voisins « Cela n’a pas été de tout repos pour les policiers qui ont fini par faire appel à des renforts, tant l’hostilité des populations les mettait en danger», se souvient Abdoulaye F, qui était loin de se douter que cette interpellation allait entraîner un embrasement de Sam-Sam et environs. En effet, quarante-huit heures plus tard, le 16 juillet, tout bascule, lorsque les populations apprennent la mort de Pape Sarr  (c’est le nom de l’individu interpellé), à la suite de brûlures contractées dans les locaux du commissariat de Thiaroye. En représailles, les populations déchaînées déferlent dans les rues et s’attaquent au domicile d’un Asp où des bijoux, trois écrans plats et de l’argent sont emportés. Puis dans la même journée, Aziz Diop, un policier résidant dans le quartier, est malmené par des assaillants armés de couteaux et de machettes. Poignardé à la tête, le policier, pour se tirer d’affaire, n’hésite pas : il dégaine son arme et tire un coup de feu qui fait fuir ses assaillants. Le calme sera rétabli avec l’arrivée de renforts venus du Groupement d’intervention mobile de la police et des autres commissariats de la banlieue.

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Thiaroye : Le dealer, le nez cassé et la bouche ensanglantée des deux policiers 

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C’était sur Tally Diallo, l’unique artère de Thiaroye baptisée du nom du célèbre oiseleur, Amadou Diallo dit Diallo Pith. Un matin du mois de décembre 2019. Bèye, un dealer notoire, est arrêté et soumis à une fouille corporelle par deux policiers de Thiaroye qui le délestent de 250 grammes et 31 cornets de chanvre indien. Au moment de le conduire au commissariat de Thiaroye situé à quelques jets, les deux policiers tombent sur M. Sy, un véritable caïd qui dirige un réseau, dont Bèye est le lieutenant. A la vue de son élément encadré par les deux flics, M. Sy s’oppose à sa conduite au commissariat. Une chaude empoignade éclate suivie d’un violent échange de coups de poings sur Tally Diallo. Les passants, pour la plupart voisins du dealer, se gardent d’assister les deux policiers qui sont malmenés par M. Sy. Béye profite de la bagarre pour s’enfuir. Les deux policiers, A. Nd et Th. S, se retrouvent l’un la bouche ensanglantée, l’autre le nez cassé. N’empêche, ils parviennent à maîtriser et embarquer le caïd M. Sy.


Bene Baraque : Bataille rangée entre policiers et frères d’un caïd


Des policiers blessés, leur véhicule endommagé à coups de briques. Une descente de police que les populations du quartier Alou Baye Niakh ne vont pas oublier. Dans ce quartier populeux, les populations ont assisté impuissantes, à une bataille que les frères de P. Nd, un caïd réputé, ont imposée aux policiers. En effet, exploitant un renseignement dans le cadre d’une enquête sur un vol de véhicule, les policiers de Yeumbeul Nord ont décidé d’aller cueillir P. Nd. Hélas loin d’être des enfants de chœur, P. Nd, ses frères et un voisin s’en sont violemment pris aux policiers. Un acte de rébellion aggravé par d’autres délits, dont la détention de chanvre indien découvert au domicile du caïd. Lequel a été finalement arrêté de même que ses frères et le voisin venu leur prêter main forte.


Des policiers tombent dans une embuscade, tirent et blessent un tailleur 


Décembre de l’année 2020 a été particulièrement éprouvant pour les éléments du poste de police de Yeumbeul-Sud. D’abord, dans la nuit du mardi 15 au mercredi 16, lorsqu’à bord de leur véhicule, ils se rendent au quartier «marché Lambada» de la commune pour s’informer sur les agissements d’une bande qui, tous les soirs, investissent les rues, empêchant les populations de vaquer à leurs occupations ou de se reposer après une journée de labeur. Hélas, ce qui était prévu comme une simple opération de routine muera en une véritable Intifada. Injuriés, hués et caillassés, les policiers, au nombre de quatre, sont encerclés par une horde de jeunes déchaînés. Pris en étau par la foule et craignant pour leur vie, à la vue des mines patibulaires, ils soupçonnent une infiltration des jeunes par de redoutables malfaiteurs prêts à casser ou tuer du policier. Les images des événements du 16 février 1994 qui ont abouti à la mort atroce de six policiers brûlés vifs sur le Boulevard du Centenaire au cours d’une manifestation des partis de l’opposition regroupés dans la Coordination des forces démocratiques (CFD), défilent devant eux. Pour sauver ses hommes, le chef de l’opération, chef de la brigade de recherches du poste de police de Yeumbeul dégaine, tire des coups de sommation. Il atteint un jeune tailleur du nom de D. Guèye. Évacué à l’hôpital, le tailleur sera sauvé, la balle extraite de son épaule droite.


Dans la même commune de Yeumbeul-Sud, quelques jours plus tard, cinq malfaiteurs pris en chasse par un policier, se rebiffent, lui font face, brandissent des couteaux et l’invitent à l’affrontement. Seul, le policier décide de ne pas risquer sa vie et laisse filer les malfaiteurs sans que les populations ne réagissent.


Quand les populations s’opposent aux policiers 


Les actes de défiance en banlieue à l’endroit des forces de l’ordre ne sont pas le seul fait des malfaiteurs. Plus d’une fois, des opérations de police se sont heurtées à l’opposition farouche de riverains. A Yeumbeul-Nord, des policiers en opération de démantèlement d’un réseau de trafic de chanvre indien au niveau du bassin de rétention de Béne Baraque, sont interceptés par un sous-officier de l’armée et un commerçant qui se sont dressés devant leur véhicule à bord duquel étaient embarqués des dealers (dont un lutteur) arrêtés quelques minutes plus tôt. On souffle que le militaire et le commerçant ont harangué la foule, l’invitant à se rebeller contre les flics. Le militaire qui a évoqué une méprise pour expliquer son acte, présentera ses excuses aux policiers.


Coronavirus et actes de défiance des populations vis à vis de la police


L ‘application des mesures de restrictions adoptées par les autorités dans le cadre de la riposte à la pandémie du Coronavirus est souvent à l’origine de heurts entre populations et forces de l’ordre. En banlieue, dans la commune de Djeddah -Thiaroye -Kao, au mois de mai dernier, au plus fort de la lutte contre le coronavirus, de violents affrontements avaient opposé des éléments de la police de Thiaroye aux membres de la famille d’un imam. Les policiers, informés de la présence de jeunes jouant au football dans les rues, la nuit, pendant le couvre-feu, s’y étaient rendus. Hélas, l’intervention jugée «musclée», virera à un affrontement au terme duquel des deux côtés – de la police comme de la famille de l’imam- des blessés ont été recensés.


CONFIDENCE D’UN POLICIER : «Ces actes de défiance sont révoltants»  


Selon un agent de police, les actes répétés de défiance notoire sont souvent évoqués dans les discussions entre collègues. Tous se disent surpris et révoltés. «Venant des malfaiteurs, cela ne nous pose aucun problème, se faire arrêter n’est pas facile à accepter, mais venant des populations qui s’opposent à l’arrestation de malfaiteurs, cela nous surprend. Nous n’avons peut-être pas vu venir ce changement dans le comportement des populations, particulièrement dans les quartiers chauds de la banlieue. Nous nous sommes peut-être trop reposés sur nos lauriers», reconnaît l’agent de police. Pourtant, très souvent, malgré les actes de défiance posés par les malfaiteurs, les policiers n’utilisent leurs armes qu’en cas de «situation désespérée». «Il nous faut faire tomber ces résistances, mais souvent nous hésitons, car l’État ne nous protège pas assez. Certains de nos collègues policiers et gendarmes croupissent en prison, parce que lâchés par l’État après qu’ils ont utilisé leurs armes. Et pourtant, c’étaient des cas de légitime défense. Nous sommes dotés d’armes pour les utiliser, ce ne sont pas des gadgets», se désole l’agent de police.


Les médias accusés de «prendre fait et cause pour les populations» sont également indexés dans la récurrence des actes de défiance à l’endroit des forces de l’ordre. «Dès que nous ripostons pour mettre un terme à un acte de défiance, les médias font un tir groupé sur nous et parlent de bavure, alors que nous avons riposté de façon justifiée, en respectant les trois critères majeurs de la légitime défense, en l’occurrence un acte actuel, une riposte proportionnelle à l’acte et surtout qu’on n’aie aucune autre possibilité que de riposter. Ce tir groupé de la presse sur les forces de l’ordre nous fragilise et encourage les actes de défiance», assène l’agent de police qui dénonce également «la complicité entre les populations et les malfaiteurs».


En dénonçant la complicité entre les populations et les malfaiteurs qui fait souvent échouer les descentes de police, l’agent qui s’est confié à L’Observateur, rappelle l’histoire de ce «puissant» dealer qui avait pignon sur rue à Guinaw-Rails. «Aujourd’hui, sa maison a été rasée pour faire place aux travaux de l’autoroute à péage. Il était très puissant et pas facile à arrêter, du fait de la complicité des familles environnantes qu’il arrosait de billets de banque. Il leur assurait la dépense quotidienne et en contrepartie, elles fermaient les yeux sur ses agissements. Ces familles lui permettaient également d’utiliser leurs enfants, des adolescents qu’il dotait de portables pour l’alerter à la vue du véhicule de la police dans le quartier». Une autre forme de défiance et d’entrave à l’action de la police connue de tous à Guinaw-Rails.


COMMISSAIRE MOUHAMED GUEYE, CHEF DU BUREAU DES RELATIONS PUBLIQUES DE LA POLICE NATIONALE : «Nous essayons d’être à niveau par rapport aux modes opératoires des délinquants»


Au Sénégal, les forces de l’ordre sont de plus en plus confrontées à des bandes de malfaiteurs qui se retournent contre elles, lorsqu'elles interviennent contre les vols et cambriolages. Mais le porte-parole de la police préfère relativiser. «C’est vrai qu’il arrive que des malfaiteurs soient armés et échangent des tirs. Ce sont des cas qui arrivent dans nos missions d’opérations. Un délinquant reste un délinquant, armé, il essaie de trouver les moyens de sa politique», reconnaît Commissaire Mouhamed Guèye, chef du Bureau des relations publiques de la Police nationale, selon qui, cela ne se passe pas qu’au Sénégal. Dans plusieurs pays, dans le cadre d’opérations de sécurisation, les malfaiteurs sont maintenant plus décidés à défier les forces de sécurité. Mais, est-ce que les autorités policières prévoient, lors de ces opérations, de mieux équiper leurs éléments sur le terrain ? Le porte-parole de la police répond : «Maintenant, conscients de cela, nous essayons d’être à niveau par rapport aux modes opératoires des délinquants et de protéger nos éléments. Il y a un principe élémentaire : avant que l’élément de police puisse protéger, il faut lui-même qu’il se sente protégé. Les gens font les efforts qu’il faut pour d’abord respecter les mesures ou règles des interventions de fonctionnaires de police. Mais aussi, de les doter de matériels de protection individuelle.»


ALASSANE HANNE, JULES SOULEYMANE NDIAYE

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Publié par

Namory BARRY

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