Macky-Idy et le protocole de succession

Les tractations ont été longues, tenues dans le plus grand secret. Entre le Président du Rewmi, Idrissa Seck et le Président Macky Sall, le rapprochement ne date pas d’hier dimanche, 1^er Novembre 2020, date de la nomination de Idrissa Seck à la tête du Conseil économique, social et environnemental. Pour preuve, les aveux circonstanciés de l’ancien Premier ministre. En conférence de presse après sa nomination, Idrissa Seck a déclaré avoir eu à plusieurs reprises des tête-à-tête avec le Président Sall. Des rencontres périodiques qui ont débuté aux lendemains de la Présidentielle de 2019. Et, c’est le chef de l’Etat qui a fait les premiers pas vers le président du Conseil départemental de Thiès. La première rencontre a eu lieu quelques mois après l’élection présidentielle, le Président Sall s’est rendu nuitamment chez l’ancien maire de Thiès au Point E. Au lendemain de cette rencontre nocturne entre les deux leaders politiques, L’Observateur avait joint le Palais pour une mise en relief de l’information. «Le Président n’a pas besoin de se déplacer nuitamment pour rencontrer Idrissa Seck. Il peut le convoquer au Palais et je suis sûr qu’il ne déclinerait pas cette invite», répondait-il vigoureusement. Pour ne pas entrer dans une spirale de démentis et contre-démentis avec les services de com’ de la Présidence qui, à l’époque, était loin d’accepter une telle éventualité, L’Observateur a préféré surseoir à son article.

Quelques semaines plus tard, invité à l’émission Face-to-Face, le journaliste Cheikh Yérim Seck vend la mèche. «Idrissa Seck et Macky Sall se parlent», confirme le patron de YerimPost. Sur les réseaux sociaux, le journaliste est conspué, insulté et accusé de diableries de toutes sortes. Dans la foulée, L’Observateur (re)lance son article. Intitulé Macky, Idy et la succession au pouvoir :  «Le New-idylle», le texte paru dans l’édition N°4879 du lundi 6 janvier 2020 fait désordre. Au Palais comme chez Idrissa Seck, on essaie par des chemins détournés de démentir l’information. Sans succès.

De «leader à dealer» politique    

Le silence de Idrissa Seck ces derniers mois, sur les sujets de l’heure qui préoccupent les Sénégalais, avait intrigué plus d’un suiveur politique. Chez les acteurs, c’est le maire de Mermoz-Sacré-Cœur qui a le premier porté l’accusation. Certainement au courant des rencontres entre Macky Sall et Idrissa Seck, Barthélémy Dias, sans jamais citer le nom du Président du Rewmi, a toujours pointé du doigt «ce leader devenu dealer politique». «Nous sommes dans un contexte où nous nous trouvons devant une opposition insignifiante. C'est différent de la période où l'on voyait Amath Dansokho, Moustapha Niasse ou encore Tanor Dieng faisant face à Abdoulaye Wade. C'est une opposition complice de Macky Sall», insistait Barth’ à chacune des marches ou événements politiques de l’opposition.  «Toute cette agitation (dialogue national) sert juste de prétexte à un gouvernement d'union nationale, de majorité élargie pour berner les Sénégalais. Macky Sall est en train de tracer sa voie», prévenait-il. Une prédiction politique qui s’est réalisée hier dimanche. 

Selon des membres de la Coalition «Idy2019», le patron du Rewmi avait cessé d’être opposant de par ses actes et ses prises de positions. Dans les rares réunions ou entretiens téléphoniques qu’il avait avec eux, soutiennent-ils, le leader de la coalition tentait toujours de les convaincre du bien-fondé de leur participation au Dialogue national et de l’impérieuse nécessité de l’attitude républicaine, quelles que soient les dérives du régime de Macky Sall.  Et attitude mise à nu dans un communiqué des Forces démocratiques du Sénégal, parti allié au Rewmi de Idrissa Seck, dirigé par le Dr Babacar Diop. «Dans le cadre des consultations liées au remaniement ministériel, j'ai été contacté par M. Idrissa Seck pour accompagner le parti Rewmi dans le gouvernement. Je lui ai clairement signifié que ma dignité m’interdit de rentrer dans un gouvernement que j’ai combattu, et que je reste dans l’opposition. Il m’a donné comme raison les difficultés que traverse le pays. Je pense que c’est trop léger. La France, les Etats-Unis et bien d’autres pays sont dans des difficultés, mais le jeu démocratique suit son cours. C’est-à-dire que le pouvoir gouverne et l’opposition s’oppose.»

Touba, tout haut

Dans le rapprochement entre Idrissa Seck et Macky Sall, Touba aurait joué un grand rôle. «Je remercie l’ensemble des autorités religieuses de notre pays pour leurs prières et pour leurs prescriptions en notre direction de toujours œuvrer pour d’abord consolider la paix et la stabilité du pays», a déclaré, hier dimanche, Idrissa Seck. Une déclaration qui n’a pas été faite ex-nihilo par le patron de Rewmi qui renvoie ainsi à sa rencontre avec le Khalife général des mourides, pour justifier son ralliement au camp du Pouvoir.   

Ce jour-là, à la tête d'une forte délégation composée de l'essentiel de ses alliés, le leader du Rewmi est reçu par le khalife général des mourides peu après 17 heures. C’était aux lendemains de sa défaite cuisante à la Présidentielle de 2019. Dans la salle d’audience de la Résidence Khadimou Rassoul, Idrissa Seck, qui s’était auparavant longuement entretenu avec son marabout, Serigne Moussa Mbacké Nawel, semble jeter les armes du combat politique. Le patron de la Coalition Idy2019, qui avait réuni chez lui les 4 autres candidats malheureux pour contester le verdict des urnes en faveur de Macky Sall, semble totalement passer à autre chose. «Les raisons de notre visite aujourd’hui à Touba se résument à un seul mot. Rendre grâce à Dieu. Vous rendre grâce en votre qualité de digne représentant de Serigne Touba sur terre. Rendre grâce à  la population sénégalaise toute entière. Nous réitérons et réaffirmons que nous ne saurions déroger, quelles que soient nos obsessions dans ce bas monde de la conduite que vous nous avez édictée. Nous manifestons toute notre fierté pour tout ce que le bon Dieu décide pour notre personne (…) Dieu a fait que nous y avons participé avec paix. Nous vous réaffirmons notre ferme engagement à œuvrer pour l’intérêt exclusif du peuple sénégalais, d’être des artisans de la paix et des acteurs prompts à tout faire pour éviter tout malheur, quelles que soient les circonstances, c’est cela notre ligne de conduite et celle de tous les autres membres de la coalition.» Dans sa réponse, le Khalife des mourides est resté sur les principes, dans sa logique de patriarche et de promoteur de la paix. «Le calme dont vous avez fait montre, bien qu’il ne me surprend pas, n’a pas de prix. Je me sens honoré que vous ayez participé au maintien de la paix et de la sérénité dans ce pays, au moment où beaucoup annonçaient le pire», a déclaré le marabout. Sans plus ni moins. Mais dans l’entourage immédiat de Idrissa Seck, les propos de Serigne Mountakha ont sonné comme un appel aux retrouvailles. 

«Contrer Sonko et potentiellement karim Wade»

Et pour la dernière entrevue entre Macky Sall et Idrissa Seck consacrée à la participation du leader de Rewmi à la gestion du pouvoir, Serigne Moussa Nawel est cité, comme le principal artisan de ses retrouvailles. Selon des sources de L’Observateur, c’est avec des garanties fermes prises devant le marabout - qui en est la caution morale - que Idrissa Seck a accepté le poste de Président du Cese en contrepartie du soutien de Macky Sall pour la Présidentielle de 2024. Un deal au sommet de l’Etat et sur le dos du peuple pour contrer les futures candidatures de Ousmane Sonko du parti Pastef/Les Patriotes et (potentiellement) de Karim Wade pour le Pds. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? La réponse est suspendue à la Présidentielle de 2024, si évidemment le deal tient jusque-là. 

MAMADOU SECK