Réflexions sur le fondement et la légalité des mesures d’interdictions de déplacement de supporters prises par la LSFP

jeudi 29 février 2024 • 5984 lectures • 6 commentaires

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Réflexions sur le fondement et la légalité des mesures d’interdictions de déplacement de supporters prises par la LSFP

La Ligue sénégalaise de football professionnel (LSFP) prend de plus en plus des mesures d’interdiction de déplacements de supporters à l’occasion de rencontres jugées «à risques». L’objectif de la présente réflexion est d’interroger le fondement de telles mesures et d’apprécier leur légalité.

Des fondements textuels légitimes


La saison 2023-2024 du championnat professionnel du Sénégal est marquée par des décisions d’interdictions de déplacement. Celles-ci concernent les matchs Jaraaf - Pikine et Guédiawaye - Jaraaf émaillés d’incidents violents lors de la saison précédente. Ainsi, les supporters de Guédiawaye et de Pikine n’ont pu se déplacer pour aller voir leurs équipes lorsque celles-ci ont été reçues par le Jaraaf à l’aller. Pour la phase retour du championnat, la mesure frappera les supporters du Jaraaf.
Cette interdiction entre dans le cadre de la politique de prévention des violences dans les stades. La Ligue se fonde sur l’existence d’antécédents violents entre supporters des équipes concernées pour interdire à ces derniers d’assister aux matchs de leurs équipes. Il s’agit en réalité d’une mesure de police, car étant restrictive de liberté. En effet, pour préserver l’ordre public, elle limite des droits fondamentaux, en l’occurrence les droits d’aller et de venir ainsi que les droits de réunion et d’expression.


Délégataire de pouvoirs de la Fédération sénégalaise de football (FSF), la Ligue pro a compétence pour prendre toutes mesures concernant l’organisation et le développement du football professionnel (article 9 des statuts de la FSF). Elle doit, à ce titre, contribuer à la réalisation de l’objectif de la FSF d’améliorer le football et de le promouvoir, le contrôler et le réglementer sur l’ensemble du territoire sénégalais en tenant compte du fair-play et de son impact universel, éducatif, culturel, humanitaire et socio-économique (article 2 des statuts de la FSF). Les violences dans les manifestations sportives nuisant au développement du sport ainsi qu’au bien-être et à la sécurité des acteurs du sport et de la société en général, au regard de ses impacts, la Ligue est légalement et légitimement fondée à prendre des mesures pour les prévenir et les punir. Cela l’autorise-t-elle, toutefois, à restreindre des droits fondamentaux ?


Des fondements juridiques perfectibles


L’existence d’antécédents violents entre supporters pourrait justifier les mesures d’interdiction, mais leur radicalité interpelle. En effet, la mesure frappe l’ensemble des supporters, alors que ceux-ci ne sont pas tous violents. Elle porte également atteinte à des libertés fondamentales.


En outre, les mesures d’interdiction de déplacement sont prises par la Ligue sans fondement légal, alors qu’en France, la mesure tire toute sa vigueur de la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011 qui a inséré, dans le Code du Sport, un nouvel article : l’article L332-16-1 qui dispose que le «ministre de l’Intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public». La mesure d’interdiction de déplacement est prise par le préfet lorsqu’elle concerne un département. Prise sous la forme d’un arrêté, la mesure énonce la durée, limitée dans le temps, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s’applique. La personne qui contrevient à ces dispositions encourt des sanctions pénales (emprisonnement de six mois et amende de 30 000).


Sur le sujet de l’interdiction de déplacement des supporters, il existe, en France, une jurisprudence assez foisonnante contrairement au Sénégal. Pourtant, ces mesures d’interdiction qui peuvent paraitre déconcertantes pour certains supporters pourraient bien être portées devant le juge des référés qui, au sens de l’article 85 de la loi organique sur la Cour Suprême, peut, en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public dans l’exercice de leurs pouvoirs (c’est le cas des fédérations sportives et de leurs structures), suspendre l’exécution d’un acte. Il est tenu de se prononcer dans les quarante-huit heures.


Toutefois, ce type d’action a peu de chances d’aboutir. En effet, une position de principe s’est dégagée en France : c’est de considérer les arrêtés interdisant les déplacements comme légaux et de rejeter les requêtes de référés pour défaut d’urgence (CE, ord. 14 juillet 2021, n° 454527). Le Conseil constitutionnel français avait d’ailleurs considéré que l’institution par la loi de 2011 des interdictions de déplacement des supporters permettait de concilier le respect de la liberté d’aller et de venir et la sauvegarde de l’ordre public. Toutefois, le Conseil attirait l’attention des autorités administratives en soulignant ces mesures doivent « être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir».


Concilier justesse, légalité et proportionnalité 


La sacralité de la personne humaine et l’obligation qui en découle, pour l’Etat, d’assurer sa protection comme le prévoit la Constitution en son article 6 habilite les instances sportives à prendre des mesures pour prévenir la violence dans les stades. S’il est obligatoire de respecter les libertés des supporters, il est tout aussi nécessaire d’assurer leur sécurité et leur bien-être. En tant que « moyen d’action » de la Fédération Sénégalaise de Football dans l’organisation du football professionnel, la Ligue dispose des compétences et ressources pouvant lui permettre d’apprécier objectivement les risques sécuritaires découlant de l’organisation d’un match et de prendre les mesures qui s’imposent. Toutefois, celles-ci gagneraient à être moins «radicales».


La Constitution dispose que «tous les citoyens de la République ont le droit de se déplacer et de s’établir librement aussi bien sur toute l’étendue du territoire national qu’à l’étranger. Ces libertés s’exercent dans les conditions prévues par la loi». Ce qui veut dire que des limitations peuvent bien être portées à ces droits, mais à la condition est qu’elles soient strictement nécessaires afin de ne pas compromettre l’effectivité des libertés fondamentales. Ces mesures devraient donc être «adaptées, nécessaires et proportionnées » aux objectifs de maintien de l’ordre public (CE, 23 décembre 2013, n° 372721).


Nous préconisons donc, pour prévenir les risques de violences et faciliter l’encadrement et la protection des supporters adverses, de restreindre le nombre de supporters autorisés à assister aux matchs «à risques». Dans ce cas, le club en déplacement pourrait choisir les supporters et groupes de supporters autorisés à assister aux matchs. Ainsi, les supporters exemplaires ne seraient pas frappés par la décision d’interdiction. Le club en déplacement resterait également toujours tenu responsable du comportement inconvenant de ses supporters (Article 74 du Code disciplinaire de la FSF).


Par Thierno Daouda DIALLO, Juriste

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Hubert Mbengue

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